Moté

La vie, c’est comme les mirabelles

Writober 2021 #03 – Le crépuscule des chimères


Bonsoir, troisième nouvelle. Plus longue à écrire que prévu. J’espère sincèrement que vous l’aimerez, j’y ai mis beaucoup de moi.


— Bonsoir, petit homme, prononça doucement une profonde voix grave.

Matéo s’était couché pour se réveiller aussitôt dans sa forêt enchantée, comme à son habitude. La lourde canopée au-dessus de sa tête le plongeait dans une semi-obscurité accueillante. Il ne s’agissait pas du noir effrayant, qui emplit le silence de monstres, mais d’une pénombre qui voulait dire qu’ici, on pouvait partager ses secrets, qu’ils seraient bien gardés. Et, peu importe ce qu’en aurait pensé un observateur extérieur, ses amis n’étaient pas des monstres.

La créature qui lui faisait face, nonchalamment allongée, était plus grande qu’un cheval. Bien plus grande en réalité, elle dépassait même les éléphants, mais cela Matéo ne le savait pas parce qu’il n’en avait vu un qu’à la télévision. Elle avait un corps de lézard, immense et imposant, recouvert d’écailles d’un vert profond. Mais derrière ses épaules étaient posées deux ailes d’aigle, aux plumes majestueuses, repliées sur son dos.

— Bonsoir Dragon ! Comment vas-tu ?

— Très bien, petit homme. En fait, j’attendais ta venue.

— Oh, mais c’est que voilà le petit Matéo ! s’exclama une voix plus féminine.

Elle provenait d’un niveau bien plus bas, proche du sol. Sa propriétaire s’approchait en rampant vivement sur le sol. Elle se redressa en approchant, dévoilant un corps de serpent géant. Juchée tout en haut, se trouvait une tête de chat, qui l’observait de ses pupilles fendues.

— Ophalé ! s’écria Matéo en se précipitant pour serrer le corps lisse dans ses bras. Elle réagit à son étreinte en baissant la tête pour la frotter affectueusement contre sa joue.

— Viendras-tu jouer avec moi ce soir ?

Matéo adorait jouer avec elle, d’autant plus qu’elle était loin d’accepter régulièrement. Aussi était-il d’autant plus heureux que ce soit elle qui le propose, et il se dépêcha d’accepter. Il sauta sur son dos en poussant un cri de joie, à moitié hurlement guerrier. Ils jouèrent ainsi pendant longtemps, riant à gorge déployée, sous le regard bienveillant de dragon.

Une nouvelle créature finit par se montre. Cela ne sautait pas aux yeux, mais elle était mi-bouc, mi-chèvre. Elle avait un air de reproche dans les yeux, quand elle se dirigea vers le joyeux duo.

— Ophalé ! J’ai préparé une chanson, laisse-moi lui chanter.

— Va-t’en Faune. Laisse-nous tranquille.

— Ohé Faune, regarde ! Je suis le chevalier au serpent ! cria-t-il en escaladant sa compagne de jeu.

— Ce n’est pas juste Ophalé ! Nous aussi on veut profiter de lui une dernière fois !

Elle tourna brusquement la tête vers lui et poussa soudainement un sifflement strident, effroyable, qui résonna dans le crâne de ceux présents. Faun recula en tremblant. Matéo tomba et poussa un cri de douleur. Ophalé se retourna vers lui tout aussi violemment. Elle avait le regard fou, et le garçon eut un sursaut de frayeur. Le voyant, la créature au corps de serpent s’enfuit et disparut précipitamment.

— Qu’est-ce qu’il se passe Faune ? Pourquoi elle est en colère ?

Il ne répondit pas. Il rentra la tête dans les épaules, le regardant d’un air gêné.

— Dragon, qu’est-ce qu’il se passe ? Dis-moi ce qu’il se passe.

Sa voix commençait à casser. La créature massive lui offrit uniquement des yeux tristes.

— Qu’est-ce que t’as dit, Faune ? Pourquoi t’as dit ça ? Hein, pourquoi t’as dit ça ? insista Matéo, les larmes aux yeux.

— C’est vrai, Matéo, intervint une nouvelle voix, sage et posée. Malheureusement, c’est vrai. C’était un centaure qui approchait, un torse d’homme sur un corps de cheval.

— Chiron ? Qu’est-ce que tu veux dire ? répondit-il en reniflant.

— Ce soir, mon garçon, tu grandis. Et grandissant, les chimères disparaissent. C’est pourquoi Ophalé est aussi triste. C’est la dernière fois qu’elle te voit.

— Quoi ? Mais pourquoi ? Je ne veux pas, moi, je veux revenir demain, comme tous les jours.

— Ce n’est pas possible. Tu dois grandir, c’est important.

— Mais non, je veux pas ! Je veux pas vous quitter !

La voix de Chiron resta calme et conciliante :

— Ah mais non mon garçon. Nous, nous allons disparaitre. Mais tu dois l’accepter, car cela fait partie de la vie. Nous allons disparaitre, mais nous nous fonderons en toi. En un sens, nous ferons toujours partie de toi. Même si tu ne le sauras pas, et que tu nous oublieras, nous serons toujours présents, en toi.

— Non, je veux pas vous oublier !

Matéo cria et partit en courant. Chiron ne le suivit pas, et le regarda s’éloigner. Lorsqu’il s’arrêta, le garçon se rendit compte qu’il était arrivé à côté d’Ophalé. Il s’assit. Il resta silencieux un long moment.

— Je veux pas t’oublier.

— Moi non plus, je ne veux pas que tu m’oublies.

Sa voix était devenue très douce.

— Je ne veux pas vous quitter. Je veux te revoir demain, et après-demain, et encore les jours d’après.

Sa voix se brisa sur un sanglot. Celle d’Ophalé fit de même.

— Moi aussi je veux que tu reviennes…

— Je veux pas que tu disparaisses !

— Moi non plus je ne veux pas ! Et j’ai peur, oh j’ai si peur…

Les deux pleuraient désormais à chaudes larmes. Les sanglots les secouaient violemment, et leur joues étaient trempées. Matéo se jeta soudainement sur son amie pour l’attraper dans ses bras frêles, et la serra fort, très fort, aussi fort qu’il le pouvait, comme pour empêcher l’univers entier de les séparer. Ophalé posa la tête sur lui.

Ils restèrent ainsi longtemps. Ils finirent par s’apaiser.

— Viens, petit garçon. Faune a une chanson pour toi.

Hochant la tête, Matéo la suivit. Ils retournèrent en arrière tous les deux, côte-à-côte. Faune était là, qui l’attendait patiemment. Il y avait une assistance tout autour, Dragon et Chiron, mais aussi Griffon, moitié hirondelle et moitié rat, Sphinx, le chien à la tête de hibou, et tous ses autres amis.

Ils s’assirent. Il posa la main sur ses écailles. Elle resserra ses anneaux autour de lui.

Faun chanta. C’était la plus belle chanson du monde. Elle parlait d’un petit homme joyeux qu’il avait beaucoup aimé. Elle parlait de moments de rire et de bonheur. Elle parlait de la douleur de perdre quelqu’un qu’on aime. Elle parlait de la vie qui continue.

Matéo pleura, en silence.


Je dédicace cette nouvelle à tous ce qui a fait que je n’ai pas pu rester un petit garçon, des histoires plein la tête et la tête dans les histoires.


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