Moté

La vie, c’est comme les mirabelles

Meurtres en série


Bien le bonjour. Aujourd’hui, je vous propose de lire cette petite nouvelle écrite la semaine dernière. Elle a un ton assez spécial, très noir. Enfin bref, vous verrez bien en lisant.

 

Étrange, n’est-ce pas, comme la peur ne commence jamais au premier meurtre ?

Pourtant, celui-ci avait tout pour effrayer. On retrouva la victime, un homme d’âge mur, au pied de sa propre maison. Aucun bruit n’avait été entendu. On pourrait croire qu’un homme dont on retrouve le thorax défoncé et les entrailles répandues sur un rayon de cinq mètres pousserait au moins un cri.

Mais non, pas celui-là.

Bien évidemment, on se demanda pourquoi. Le questionnement se propagea dans tout le village, les gens s’interrogèrent. Des murmures étaient prononcés. Enfin, pas vraiment à voix basse. On venait présenter ses condoléances à la famille. On parlait d’enquête, les gens s’inquiétaient.

Oh, quand je disais que la peur ne commençait jamais au premier meurtre, je parlais de la véritable Peur, avec une majuscule. De la Terreur, peut-être. Celle qui fait fermer portes et volets. Qui remue la ménagère, l’empêchant de dormir. Celle qui retourne les tripes à l’envers, qui force à garder le tisonnier à portée de main.

Comme je le disais, donc, les villageois ne ressentaient pas encore la véritable Peur. Ils s’inquiétaient. Alors, bien évidemment, ils montèrent une enquête, inspectèrent les lieux du crime, interrogèrent les passants et les voisins. Ils ne trouvèrent rien mais réunir tout de même un conseil du village. Un Conseil du Village comme ils préfèrent l’appeler.

Et comme ils n’avaient pas Peur, ils essayèrent la fermeté. Ils firent de grandes déclarations. Ils dirent que l’enquête suivait son cours, mais qu’ils trouveraient le coupable et le châtieraient comme il le méritait. Bien évidemment qu’ils ne doutaient pas de dénicher le coupable. Ils seraient intransigeants, récolteraient tous les indices nécessaires et iraient au bout de la chose.

Oh, et certainement, ces choses-là prennent du temps. Ils ne pouvaient pas les faire dans cette seule journée. Mais ils y arriveraient. Alors, ils s’en furent rassurés. Il y avait un mort dont on enterrerait le cadavre, ou ce qu’il en reste, le lendemain. Mais le coupable serait puni. On le trouverait et l’empêcherait de nuire à jamais.

Seulement, le coupable, On ne l’a pas prévenu. Alors il a recommencé.

Au point du jour, on retrouva la femme du mort de la veille. Enfin, du moins on supposa qu’il s’agissait d’elle vu qu’elle portait ses vêtements. Difficile de reconnaître son visage. La tête étant portée manquante. On supposa qu’il s’agissait de la bouillie rosâtre et sanguinolente tapissant le sol et les murs autour du reste du corps, mais on ne pouvait pas vraiment en être sûr.

Cette fois, la première réaction fut l’horreur. Il ne s’agit pas de Peur, ni même de peur, mais bien d’horreur. Une sorte d’incompréhension, accompagnée d’un recul face aux évènements. Et comme toujours, elle fut suivie d’autre chose.

La colère.

La fameuse colère, qui fait monter le ton. Le timbre de la voix change. On s’énerve. Les muscles se tendent, les mouvements se font brusques. Les sourcils se froncent. Des mains s’agitent dans les airs. Des cris s’élèvent dans les graves. Des groupes se forment pour échanger vivement des paroles prononcées à toute vitesse.

On avait osé assassiner deux nuits d’affilées.

On se regroupa encore une fois. Hors de question de laisser passer ça. On fit un discours. On trouverait le coupable. On l’attraperait. On le jura. On le promit. Et on tient ses promesses, on est connu pour ça.

Les gens se tinrent droits, la nuque raidie. Ils parlèrent haut et fort. Pour montrer qu’ils n’avaient pas peur. Ils ré-échangèrent entre eux la promesse qu’on venait de leur faire.

Puis ils rentrèrent chez eux.

Et d’autres moururent.

Un homme. Et son enfant. De l’autre côté du village. Les jambes broyées. Les yeux écrasés. Une épaule disloquée. Une autre arrachée.

Alors la Peur s’installa. Au troisième meurtre, c’est toujours au troisième meurtre. Elle se répandit, sournoise et insidieuse. Sa brume se répandit au travers des rues. Elle passa sous les portes et à travers les volets. Atteignit les Hommes qui vainement se cachaient derrière. Elle joua avec les ombres, et transforma chaque silhouette en ombre.

Les meurtres continuèrent. Et plus ils continuaient, plus la Peur se confortait. Les regards se firent de plus en plus plissés. Les consciences s’agitèrent et les soupçons se dévoilèrent. On regardait son voisin. On l’observait et on l’espionnait parce qu’on avait Peur de lui.

La vraie Peur, c’est quand on n’est plus effrayé seulement par le coupable mais également par les autres.

Alors les villageois s’accusèrent entre eux. Ils furent même violents. Mais leurs accusations n’arrêtaient rien, et les morts continuaient. On ne progressa plus, et on se sentit impuissant. Donc on dénonça naturellement une force supérieure. On cria au châtiment. On pria pour trouver un blasphème.

Il y a toujours un blasphème. Parce qu’il y a toujours une brebis galeuse.

Et on la trouva.

Avant, on l’appelait l’idiot du village. On la trouvait sûrement très bête, mais quand même très gentille. On lui souriait.

Puis on cria plus fort que les autres et on le pointa du doigt. Alors on se déchaîna. Les villageois hurlèrent au démon. Le rouèrent de coups. Le traînèrent, gémissant, pleurnichant, dans les rues. Lui jetèrent des pierres. Puis on alla chercher du bois. Et on le brûla. Vif.

Et les meurtres cessèrent.


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