Moté

La vie, c’est comme les mirabelles

Salle de shoot


– Et ils sont nombreux, là-dedans ?

L’inspectrice regardait autour d’elle, l’air sévère. Athlétique, d’une carrure imposante, on ressentait son assurance et sa compétence. Elle montait un petit escalier, suivant la gérante, beaucoup plus discrète, qui lui répondit :

– Ça dépend des jours. Aujourd’hui c’est plutôt calme, ils sont moins d’une dizaine. Parfois, on grimpe à plus d’une vingtaine.

Elles entrèrent dans la pièce, plongée dans une semi-obscurité reposante. On voyait du premier coup d’œil qu’elle n’était pas assez grande pour deux dizaines de personnes. Six ou sept étaient assises ou allongées sur des fauteuils. Elles avaient toutes les yeux clos et la tête en arrière, et la respiration lourde.

– Et vous les accueillez, pour faire ça ?

– Ils ne sont pas obligés de le faire, parfois ils se contentent de discuter avec nous. Mais oui, sinon ils viennent se droguer ici. Où on peut garder un œil sur eux. Les aider à se réveiller, après, et à revenir à la réalité. Les soutenir, aussi, parce que la rechute est dure.

– Si elle est si dure que ça, pourquoi est-ce qu’ils recommencent, alors ?

La gérante lui renvoya un regard étrange, qu’elle ne sut pas interpréter. Elle alla à une des petites tables, et en récupéra un petit cristal. Elle lui montra : il luisait par intermittence.

– Vous savez ce qu’ils voient avec ça ? Ils voient la vie de quelqu’un d’autre. Quelqu’un comme vous. Peut-être même la vôtre, on ne sait pas à l’avance. Quelqu’un de riche. Qui n’a pas peur de ne pas avoir assez à manger, qui peut s’acheter des cadeaux et en offrir. Qui ne souffre pas du froid, du stress, de la fatigue. Mais ça ne dure pas longtemps, c’est une échappatoire très limitée. Alors ils se réveillent. Et ils ont faim, et ils ont froid, et ils ont peur. Et ils ont honte, aussi. Parce que ça leur a coûté cher, et après ils doivent rentrer chez eux, dans leurs familles. Et ils se rendent compte qu’à cause de ça, ils auront encore plus faim, et leurs enfants aussi. Mais ils ne peuvent oublier ce qu’ils ont vécu. Ils y pensent, et ils y repensent. Et comme ils ne supportent plus la honte, et le stress, et la faim, et le froid, ils reviennent, et ils en reprennent.

– Ils recommencent, madame l’inspectrice, parce que c’est leur seul moyen de vivre votre vie, une vie normale.

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